L´homme universel ou les trois vies de Jacques Danois

Paru dans l'édition d'octobre 2018 de "LOU PASSADOU", le journal d'information de Bédoin, un article de Guy PAIROUX:

La vie À BÉDOIN
L’homme universel ou les trois vies de Jacques DANOIS

Portrait de Jacques Danois en 2006 / photo Guy Pairoux
Il y a tout juste 10 ans, Jacques DANOIS né à Bruxelles le 11 septembre 1927 et décédé à Carpentras le 20 sep- tembre 2008, était inhumé dans le vieux cimetière de Bédoin. Cet homme du monde dans tous les sens du terme, écrivain, journa- liste puis fonctionnaire international à l’UNICEF, observateur privilégié des soubresauts de notre planète a écouté, consulté et ausculté le monde durant un demi siècle. Dans ses livres et ses repor- tages, sa grande objectivité, sa recherche de vérité, lui ont permis de rester libre.

Un journaliste de l’extrème
A une époque où l’événement constitue la vedette et prévaut sur le journaliste, Jacques DANOIS fut grand reporter à Radio- Luxembourg (RTL aujourd’hui) de 1957 à 1969. Contrairement à la plupart de ses confrères, il ne travaillait pas en meute, mais seul. Seul avec son « Nagra » (enregistreur audio portable professionnel) en bandoulière. Le reporter est là où se déroulent les guerres, les coups d’états, au moment où ils se jouent, ni avant, ni après, à l’instar des grands photographes de presse contemporains tels Robert CAPA ou Don MAC CULLIN.

Pour ces aventuriers du micro ou de la pellicule, il n’y avait ni studio d’enregistrement, ni mixage, ni même de bars de grands hôtels où les journalistes du monde entier se retrouvent aujourd’hui afin d’échanger les rumeurs et quelques maigres informations qui feront la « une » de la plupart des journaux. Témoin de tous les drames de la seconde moitié du XXsiècle, Jacques DANOIS sui- vra les événements d’Algérie où sa qualité de journaliste étranger lui permet d’échapper à la cen- sure. Il suivra également les vraies et fausses indépendances d’Afrique noire comme au Congo belge mais aussi les événements qui surviennent au Moyen-Orient (Palestine, Israël). Enfin et surtout, il rendra compte de la guerre du Vietnam.

Les auditeurs de Radio-Luxembourg n’oublieront jamais ce moment où, à bord d’un hélicoptère atteint par une roquette Viêt-Cong, Jacques DANOIS n’a pas interrompu son repor- tage en direct alors que l’appareil perdait de l’altitude et que le copilote délestait les soutes de tous poids inutiles par-des- sus bord, caisses de munitions, mitrailleuses, etc. Volant à très basse altitude ils en réchappèrent.

Cette forme de journalisme, de reportage de guerre n’est plus envisageable aujourd’hui, depuis la guerre d’Irak en 2003 où seuls les journalistes accrédités par l’armée sont autorisés à témoigner. Mais au Vietnam en 1967, les journalistes ont l’op- portunité d’aller où ils souhaitent et, équipés de pied en cap (voir photo de Jacques DANOIS ci-dessous), montent dans les hélicoptères de la « cavalry » avec rang d’officier. La presse dispose d’une carte priorité 3 ; la priorité 1 est pour les bles- sés, la priorité 2 pour les responsables politiques, les soldats n’auront que la priorité 5. Les Vietnamiens deviendront pour Jacques DANOIS des « Frères dans la rizière », titre d’un de ses ouvrages. Tout ceux qui ont vécu l’Indochine, comme par exemple les écrivains Pierre SCHOENDOERFER, Jean HOU- GNON, Jean LARTEGUY ont été saisis par « le mal jaune ». La guerre du Vietnam était une guerre impossible où les adversaires appartenaient à des dimensions différentes... deux peuples, deux guerres. A l’instar d’Avatar, le film de James CAMERON, les Américains dominent le ciel et les Vietnamiens se terrent dans le réseau labyrinthique creusé dans le sous-sol comme des insectes condamnés !

Une pensée devenue pensée en marche
Profondément marqué par les horreurs dont il avait été témoin durant la guerre du Vietnam, commises en particulier à l’égard des enfants, Jacques DANOIS décide de défendre la cause des enfants de la guerre et accédera au poste de direc- teur de l’information et des relations extérieures de l’UNICEF à New York, en Asie du Sud-est et en Afrique noire. Il occupera ces fonctions jusqu’en 1968. Écoutons le raconter le déclic qui a provoqué sa prise de conscience : ‘’ A Saïgon, une chaude après-midi de 1966, je fais calmement la sieste au rythme d’un ventilateur secouant mollement la moustiquaire de mon lit. Une explosion se fait entendre (...) Dans l’encoi- gnure de la porte d’un bar gît un petit garçon, mort (...) Tout s’écroule en moi, que suis-je venu faire dans ce pays ? Interviewer des politiciens et des militaires ? Pourquoi ? Tout le monde ment et moi aussi, je le sais, les auditeurs le savent. Métier dérisoire que le mien. C’est cet enfant qui est le sujet principal de cette guerre, ces milliers d’orphelins, de blessés, d’abandonnés. Sur ce trottoir je jure de mettre mon micro et ma plume au service de leur cause (...) ’’

En même temps qu’un indéfinissable malaise taraude le fond
de son être, Jacques DANOIS a fait son choix définitif et sa pensée est devenue une pensée en marche. Il se voudra dès lors essentielle- ment un aventurier au sens noble et il œuvrera toute sa vie afin que cette prise de conscience nous concerne tous. Dès lors, il n’aura de cesse tout au long de son existence que de lutter pour la défense du « petit de l’homme » comme il le nommait,
contre la barbarie des tyrans et dictateurs. Il est devenu de la sorte un correspondant de paix.

Un bédouinais d’adoption pour une retraite active
Sollicité par un de ses collègues, producteur à Antenne 2, qui vivait au pied du mont Ventoux, Jacques DANOIS s’installe pour une retraite active à Bédoin. Il devint secrétaire général puis vice président de l’AMADE (Association Mondiale des Amis De l’Enfance), fondée en 1963 par la princesse Grâce de Monaco. Ecrivain, auteur de plusieurs dizaines d’ouvrages, romans, essais, poèmes et même de délicieux contes venturiens, Jacques DANOIS est également auteur de théâtre, après avoir été comédien dans sa jeunesse où il fut compagnon de scène de Michel Bouquet et François Perrier. Sa dernière pièce, « Jardin Public », a été interprétée en 2006 en Avignon dans le cadre du festival off.
Guy PAIROUX




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