N'ayons pas peur


Les pécheurs de crevettes à cheval de la plage d’Oostduinkerke vont disparaître de notre paysage ; Les grands reporters aussi ! Pas pour des raisons semblables, bien entendu; Les bateaux –usines de la vie moderne confectionnent des taxes sociales indigestes pour les petits artisans de la mer, les prix en hausse de l’avoine et en baisse des trop petits crustacés gris vont avoir raison des survivants de la mer du Nord, de leurs cabans, leurs cirés et leurs percherons. Quand aux journalistes, spécialement les correspondants de guerre et les baroudeurs de révolutions, c’est la PEUR qui les fera quitter leurs bloc-notes, leurs caméras ou leurs micros. La PEUR; pas la leur propre mais celle de quelques pouvoirs politiques et militaires. Le vrai reporter vit une passion, pas une corvée il aime et désire partir à la recherche de la vérité en la vivant lui meme, il sait que plus qu’un « communicateur » il est un témoin.
« Tu pars en reportage tout nu et tu te laisses habiller par l’évènement »m’avait dit Jean Pierre Farkas, mon rédacteur en chef lorsqu’il y a plusieurs dizaines d’années, je débutais dans le métier de « grand reporter » à Radio-Luxembourg –RTL et dans bien d’autres média. Comment suivre cette règle si l’on a peur pour sa peau ? La seule anxiété que j’ai jamais ressenti en mission de reportage était de voir s’évanouir les batteries de mon enregistreur ou de ne pas pouvoir faire parvenir mes bandes magnétiques, mes textes ou mes films à la rédaction. La crainte était de ne pas trouver de «lignes » ni d’avions pour assurer la liaison avec l’Europe. En fait ceux qui ont la « trouille » ne prennent pas les risques et ne connaissent pas les dangers vécus par l’envoyé spécial ou le correspondant de guerre dans une région «chaude » du monde. Ils sont bien au frais dans de confortables bureaux climatisés du Pentagone ou des nombreux ministères des affaires étrangères de la planète impliqués dans les « proxy war » fleurissant dans le Tiers monde ex-colonisé. Comment est née cette méfiance trouble et anxieuse ? On peut le dire, et je le dis l’ayant vécu,que tout a commencé pendant la guerre du Viet- Nam . A cette époque,de 1963 à 1973 ,le journaliste arrivant en Indochine était sacré aux yeux des autorités US à Saigon.
Suivant l’actualité je me rendais le matin au MACV (Military Aid Command Viet- Nam) et j’alignais mes désidérata au lieutenant en charge. : Je veux aller à Dak To en zone de combat contre les Viet congs, je veux à mon retour une interview du Général Westmoreland et ensuite une visite à l’ambassadeur Cabot Lodge.
-Yes Sir !
Des le petit matin du jour suivant mes exigences tout était prêt, jeep, hélico, speedboat..et questions réponses avec les « Big Bosses »…Résultat de cette collaboration quasi fraternelle entre les correspondants et le corps expéditionnaire US, la guerre du Viet -Nam a été gagnée par les journalistes ; leurs articles, photos récits et témoignages ont été plus forts que le napalm et les B52. Nous avons été les témoins des défaites militaires et morales des GIs. Lorsqu’ au milieu des combats je demandais aux soldats Noir- Américains pourquoi ils venait tuer de pauvres Asiatiques alors, qu’à l’époque, eux même n’avaient pas de droits dans leur propres pays,cela n’aidait pas les « boys » à faire face de héro! Le massacre de MyLay , les photographies, du soit disant Vietcong abattu dans la rue saïgonaise et la petite fille napalmée courant sur une route du delta du Mékong ont apportés les preuves visuelles de la cruauté cynique de ce conflit perdu d’avance par les Marines et autres fantassins, aviateurs et espions de la CIA ; Suite à cela le reporter est donc devenu le gêneur, d’autant plus que cet encombrant témoin ne semble pas craindre physiquement les dangers dans les embuscades, les accidents de la vie et la mort, les bombardements et autres gracieusetés que leur offre leur métier. Aussi des le premier mouvement de guerre en Irak tout a changé. Lors du second cela s’est précisé. Les journalistes avides de « rapporter »les histoires liées à ce conflit ont du et doivent encore être aux ordres, enrégimentés dans le corps expéditionnaire de Bush..et les autres ? Hé bien au besoin on leur tire dessus,on canonne l’hotel ou ils résident a Bagdad .Adieu la liberté, celle de la presse et celle des hommes trop curieux de vérité que sont les grands reporters .Ensuite va sortir un «truc » ; celui de l’inquiétude et même de la compassion pour ces pauvres journalistes de terrain qui jouent avec leur vie et leur liberté au milieu du feu et du sang.
Faut il le dire, pendant les 5O ans que j’ai passé, non pas dans la « carrière »,(je n’aime pas ce vocable, je lui préfère: aventure), j’ai comme mes confrères, vécu, lors de conflits en Afrique ,en Palestine et ,Israël comme en Asie du Sud Est, bien des problèmes. Tous nous avons pu apprécier les mitraillades, les avions et hélicoptères descendus alors que nous y avions pris place, les arrestations arbitraires dans des geôles dont nous ne savions si un jour nous pourrions sortir ni si par chance quelqu'un de nos amis savait que nous nous y trouvions.. et alors ?Ce n’était pas, à nos yeux, plus important que lorsqu’un plombier se pince les doigts sous un lavabo !C’était les risques du métier et souvent nous ne relations pas ces incidents de parcours s’ils n’éclairaient pas l’évènement que nous couvrions. La publicité faite à présent sur les dangers que vivent les reporters, grands et petits,,les risques de les voir pris en otage, assassinés etc. ,me semblent souvent destinée à « fragiliser » le métier en le plongeant dans la PEUR !
-N’envoyez personne là bas,c’est trop dangereux… en d’autres mots : Fichez nous la paix avec votre témoignage ; laissez nous torturer, tuer dans les prisons et les camps interdits aux regards de ces voyageurs qui veulent tout voir et tout raconter dans leurs journaux et gazettes,sur leurs écrans et dans les récepteurs de radio. A notre époque ou un certain nombre de journalistes aimeraient être présentateurs et ou pas mal d’animateurs désirent se prétendre éditorialistes en mélangeant les variétés avec la vérité et les réalités de l’information, le risque de noyer le grand reportage dans la grande soupe indigeste des « starac » et autres joyeusetés télévisées devient grand et se fait un allié de ceux qui souhaite une information au risque zéro
En vérité et en reportage ce prudent et timoré »risque zéro » est égal à DANGER !

Aucun commentaire: