Il était une fois un Vaneau

Il était une fois un Vaneau ,un oiseau de théâtre libre dans le ciel de la comédie ,de l’art et du spectacle ! Un ami de toujours qui était plus mon frère que mon frère n’a été mon ami……Mais voila lorsque le 24 décembre 2007 je lui ai téléphoné à Sao Paolo ou il résidait depuis des années pour lui souhaiter une douce fête malgré sa maladie, sa fille Vania m’a dit simplement « Papa est décédé ce matin »

La première fois que j’ai rencontré Maurice Vaneau il avait une oreille plus grande que l’autre !Je ne sais plus si c’était la gauche ou la droite.De toute façons lorsqu’il bougeait et tournait la tête, la gauche passait à droite et vice- versa. Il faut dire que je ne le voyais pas de très près car j’étais assis au fond de la salle M du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Jeune comédien je pataugeais dans la vie théâtrale renaissante de l’après-guerre entre le Conservatoire et les cours de Max Péral, un vieux comédien français qui a tout appris aux acteurs de ma génération, j’étais figurant , "panouflar" et souffleur d’occasion au Théâtre royal du Parc et je jouais aussi de très beaux rôles dans une compagnie itinérante »le Théâtre de l’équipe » dirigée par un merveilleux fou nommé Fernand Piette qui crevait de faim avec sa petite fille et sa femme mais qui n’était jamais I0 minutes en retard pour payer généreusement ses comédiens.Pendant mes temps libres je me glissais clandestinement dans les salles de la ville où se répétaient des pièces. C’était le cas du » Rideau de Bruxelles » où Maurice jouait un petit gnome si je me souviens bien . Enfoncé dans mon fauteuil de resquilleur soignant en même temps ma gueule de bois habituelle, j’étais indigné de voir les autres comédiens tirer la grande oreille de celui qui, tout en étant né de parents différents, allait devenir mon frère. A la pause de la « répet », toujours sans demander la permission et profitant de mon don d’absence naturel je passais des rangs du public absent aux coulisses et loges d’acteurs. De visu j’ai alors constaté que l’oreille de Vaneau était fausse ! Quel soulagement de n’avoir pas assité à la torture en direct d’un petit handicapé du pavillon auditif! En vérité Maurice était un jeune comédien plein de ressources. Il ne se contentait pas comme le font beaucoup d’acteurs de se regarder lui-même. Rien ne lui échappait dans son environnement, ni les décors ni la mise en scène qui deviendra par la suite son outil de choix. Excellent dessinateur et fin observateur de tout ce qui sortait de la routine du théâtre ,il était un novateur sans devenir un hurluberlu d’un théâtre sans âme voulu par ceux qui ont donné à leur fonction de « metteur en scène », une place tuant celle de l’auteur et de ses interprètes. Son physique de mime et de personnage de la comédia dell’ arte lui ont permis rapidement de jouer et de monter des œuvres de répertoires allant de Feydeau aux auteurs américains les plus modernes. A la ville nous ne nous sommes plus quittés .Il était beaucoup plus sérieux que moi. S’il m’accompagnait dans mes virées nocturnes pour faire le tour de tous les cafés d’étudiants de la ville, il n’était pas , comme ma pauvre personne, un alcoolique sans volonté. Je dépensais mon peu d’argent à sortir et à boire mais lui se gardait de l’inutile pour se préparer de beaux voyages. L’Italie, l’Espagne… À chaque retour il racontait toutes ses découvertes comme l’aurait fait un grand reporter. Puis il est parti en stage en Amérique ! Là il s’est réalisé encore plus et a ramené les « States » dans ses valises . Grâce a lui j’ai connu New York bien avant d’ aller y vivre pendant 8 ans dans les années 70. La distance n’a jamais existé entre nous. Lorsque j’ai été engagé à Paris par Popesco pour jouer un Goldoni avec Suzanne Flon, nous avons partagé le même petit appartement. Si Maurice avait beaucoup a faire dans la capitale française son cœur et son âme était toujours en voyage, surtout en Amérique latine. C’est finalement à New York que nous avons recommencé à travailler ensemble nous qui avions joué tous les auteurs classiques et modernes sur les scènes les plus invraisemblables de Belgique. Je dirigeais, aux Nations-Unies, le Service audiovisuel de l’UNICEF. Avec son épouse , Célia Gouvéa , danseuse et chorégraphe de grand talent,il a réalisé un vidéo spécial pour l’Année de l’Enfant (78/79). Les techniciens de l’ONU étaient heureux de quitter leur corvée d’enregistrement de discours officiels, sibyllins et oiseux, pour venir vivre avec Maurice et Célia des moments de vérité et de talent. Moi j’étais fou de joie de retrouver l’ambiance de travail qui avait été la nôtre pendant notre tournée au Congo belge en 1951. Nous nous partagions le boulot de régisseurs en plus de celui de comédiens. Les difficultés étaient grandes, les salles de spectacle mal ou pas équipées pour ce genre d’aventure. Maurice faisait des miracles pour faire tenir debout des planches , des tubulures afin de tendre des toiles peintes sensées être des "décors en dur" ! Sa franchise et sa liberté de parole n’a trouvé aucun frein lorsque Claude Etienne qui dirigeait ce voyage du Rideau de Bruxelles a, une demi-heure avant le lever de rideau, tout fait s’écrouler en voulant ajouter le geste du »Chef » à celui de humbles travailleurs que nous étions Maurice et moi. »Avez-vous jamais vu un con pareil » a crié Maurice libérant ainsi un grand nombre de ses frustrations vis à vis du Patron. En toutes circonstances Vaneau a toujours manifesté sa liberté de parole. Son charme adoucissait ses interventions parfois très »directes » mais nul ne lui en a jamais voulu . Certainement jamais moi à qui, en vrai frère, il n’a jamais dit un mot de travers ni fait aucun reproche. Pourtant j’étais un garçon moins mûr que lui. Il me pardonnait d’avance, mes idées parfois curieuses. Que de premières, de réceptions, de tournées,de répétitions,de réalisations, de fou-rire vécus comme des gamins et des hommes ! La distance en kilomètres est grande entre ma Provence et son Brésil »Il faut trouver quelqu’un pour réparer ça »m’avait t'il dit récemment au téléphone. De toutes façons rien surtout pas la mort, ne peut ni ne pourra jamais briser notre fraternelle histoire, avec un grand H.

Jacques Danois

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